CENTAURES D'ASIE, le journal ...

Voici le carnet de voyage tel que nous l'avons reçu au gré des e-mails durant l'épopée de nos 2 aventuriers :

26 avril 2004

 

Voilà !

Nous sommes arrivés en Mongolie. Une semaine maintenant que nous sommes partis de Paris et déjà beaucoup de choses à raconter. Arrivés a Moscou le 20 avril, nous nous sommes posés dans un petit hôtel, que notre fatigue des derniers jours, due à la course des préparatifs de dernière minute, a rapidement transformé en petit palace (enfin presque).

 

Moscou est aux portes de l’Europe et pourtant tellement différente de celle-ci ! Notre première journée dans la capitale russe nous a plongé dans un autre monde, d’autant plus que notre russe débutant nous a fermé la porte à beaucoup de subtilités.

 

Nous ne sommes restés que 2 jours à Moscou, un séjour trop court pour pouvoir en faire un portrait fidèle. Mais voici quelques-unes de nos impressions :

 

Les voitures aux lignes passéistes, les formalités administratives ou encore les uniformes, qui sont omniprésents dans l’ancienne capitale communiste, sont là pour satisfaire notre désir de dépaysement. Néanmoins, les panneaux publicitaires géants, la mode vestimentaire et celle des cellulaires nous prouvent que Moscou est bel et bien passée a l’aire du “capitalisme”. L’architecture fut certainement le point le plus marquant de notre séjour moscovite, à commencer par celle du mét ro dont les stations ressemblent à des halles de musée avec leurs murs en marbre, leurs statues et leurs grands luminaires. Et puis, il y a cette multitude de bâtiments officiels, dont les façades n’ont sûrement pas à rougir de leurs voisines européennes. Enfin il y a les églises, toujours peintes de couleurs vives, décorées d’icônes et coiffées de coupoles dorées dont l’abondance dans cette ville lui donne un petit air royal ou féerique. Mais pour nous, qui n’avons fait que passer, notre plus beau souvenir restera sûrement la Place Rouge. Au moins aussi belle que sur les photos que nous avons pu voir d’elle avant de partir. Cette immense place pavée, cernée par les murs du Kremlin, de la cathédrale Kazanskiy et de la fame use cathédrale St-Basile aux coupoles spiralées et couleurs vives, nous aura plongé pour un instant dans un conte des milles et unes nuits ou dans un décor d’Alice au pays des merveilles. Le mausolée de Lénine, devant lequel venaient défiler les militaires aux casquettes démesurées, finissait de rendre l’atmosphère de la scène. Mercredi soir après un dernier petit tour de la Place Rouge, nous sommes arrivés à la station ferroviaire de Stanislavski, pour embarquer à bord du Transsibérien, destination Oulan-Bator.

 

À bientôt pour la suite!

 

 

27 avril 2004

 

Transsibérien

 6300 km et 5 fuseaux horaires

Dire que nous pensions être chargés…. Ce n'est pourtant rien en comparaison de la foule déjà massée sur le quai accompagnée de colis énormes qui débordent des chariots. Nous l'avons compris très vite : ces ballots ne contiennent pas d'effets personnels, mais des marchandises de contrebande destinées à être vendues tout au long du parcours. L’entrée en gare du train fut un moment assez spectaculaire : Les commerçants ferroviaires clandestins se sont jetés sur les portes des wagons pour tenter d'y faire entrer leurs marchandises et de les entreposer dans un espace somme toute restreint. Cohue sans nom, cris, pique-pockets, policiers plus ou moins complaisants, tout est là pour donner à cette scène nocturne sa juste démesure ! Les plafonds du train sont démontés pour y cacher des marchandises, de même que les planchers et nous nous retrouvons avec 500 paires de chaussures cachées dans notre compartiment. Pour beaucoup le but n'est pas seulement de commercer jusqu'a Irkutsk, mais aussi de passer ces denrées à la frontière mongole.

 

Il faut un peu plus de 4 jours de train pour arriver à Oulaanbaator (l’orthographe de cette ville est très variable….).  À chacun des 40 arrêts qui ponctuent le parcours, se répète le même scénario: les vendeurs sont prêts à débarquer 30 minutes à l'avance, les bras chargés de souliers, manteaux, chandails, et les couloirs ne sont pour ainsi dire plus fréquentables. Le train à peine arrêté, ils se ruent sur le quai pour refourguer leur camelote. Pas de temps à perdre, ils ont de 2 à 20 minutes, selon les arrêts, pour faire leur profit. Sur le quai, la foule  compacte attend ces nouveaux produits venus de la capitale. À bord du transsibérien, nous sommes, avec trois charmantes françaises, les seuls étrangers à bord . Tout le reste de ce petit monde, qui semble former une famille, n'est là que pour commercer.

 

Au fil des jours, la vie s'organise à bord. À l'arrière de chaque wagon, un samovar procure l'eau chaude pour la cuisine et le thé. Nous profitons des arrêts pour acheter sur le quai du poulet fumé, des saucissons ou encore quelques légumes à de gentilles vieilles dames.

Par les fenêtres du train défilent les campagnes russes : forêts de trembles aux troncs d'ivoire, pins énormes et champs se succèdent. La neige n'a pas encore quitté totalement le pays et l'herbe est partout couchée et jaunie par l'hiver. De ci de là, des villages accrochés aux flancs des collines ou l'on découvre de veilles masures de bois, aux portes et fenêtres peintes et décorées. Pas de routes, mais des chemins de terre que le dégel transforme en bourbier. Impression de pauvreté, malgré le pittoresque de ces fresques. Vers l'est, le temps se réchauffe un peu et l'hiver qui était encore si bien installé dans l'Oural n'est plus ici qu'un souvenir.

 

Dimanche matin, nous nous sommes réveillés devant le lac Baïkal, immense étendue d'eau encore bien gelée à cette saison, et dont nous rêvions depuis longtemps. Vinrent ensuite les heures d'attente aux postes frontaliers, 3 heures chez les Russes et 2 heures chez les Mongols, prisonniers dans notre cabine et privés de toilette! Ce n'est pas le moment d'avoir une envie soudaine... l'un de nous a bien failli y succomber…(QUI ??). Les douaniers semblent connaître les cachettes et fouillent chacune des cabines a la loupe: plafonniers, trappes dans les planchers et radiateurs y passent. Et malheur à ceux qui se font prendre par les militaires et leurs matraques ! La taïga disparaît maintenant au profit des steppes où l'on peut observer nos premiers cavalier s et nos premières gers. Nous voilà arrivés à destination, au pays des nomades. Après quelques heures au milieu des plaines et des collines, se dresse, enfin, la capitale UlaanBaatar.

 

 

1er mai 2004
Ulaanbaatar, la capitale mongole, est une ville de presque 700 000 habitants en pleine expansion où se mélangent tradition et modernité. Au centre de la ville, se pressent des constructions de briques et de béton, d'immenses enseignes publicitaires, des petits squares et des néons. Autour de ce noyau dur croissent les faubourgs de feutre. Quartiers entiers de gers1 cernés par le béton et noyés dans la ville. Le gens aussi reflètent cette cohabitation du moderne et du traditionnel. Sur le trottoir, nous croisons des hommes et des femmes aussi bien habillés à la fine pointe de la mode que vêtus des traditionnels DEL, richement décorés.
Pour l'instant, nous nous sommes posés dans une petite ''guest house" au centre de la ville, le temps de régler les dernières formalités administratives: enregistrement au ministère des affaires étrangères, passage des frontières, etc. Tout va assez lentement, les journées filent et nous nous couchons souvent déçus du peu qui a pu être fait. Le temps mongol semble avoir d'autres règles que celles que nous pensions lui connaître, mais c'est de bonne grâce que nous nous plions à cette nouvelle donne. Nous profitons des heures creuses de la journée pour visiter la ville et découvrir la gastronomie mongole. De très bons petits restaurants bordent les rues où l'on peut, pour 1 dollar, déguster un délicieux repas de mouton.
Mardi 28 avril, nous avons rencontré Naraabaatar (littéralement « Héros du soleil ») qui nous accompagnera durant le premier mois en Mongolie. Jeune, rieur et parlant un très bon français, sa compagnie sera, à n'en pas douter, aussi utile qu'agréable. Le lendemain, nous avons pris le bus pour Shuvuu (« oiseau »), à 30 km de la capitale. C'est là que nous avons rejoint Tserenpil, le père de Sarah, une amie mongole qui vit au Québec. Tserenpil est éleveur et doit nous trouver des chevaux capables de voyager 7 mois. Son troupeau se trouve à environ 150 km d'Ulaanbaatar et puisque nous nous sommes entendus sur un éventuel prix d'achat, nous nous y rendrons demain.
Ce serait mentir que de prétendre que nous n'avons pas follement hâte, maintenant que nous sommes sur les terres de Genghis Khan, d'avaler sur nos chevaux les steppes mongoles.
A bientôt,
Mélanie et Corentin
***
1 : La ger est une grande tente à armature de bois recouverte de feutre. La plupart des Mongols, même en ville, habitent ces tentes parfois très bien équipées avec tout "le confort moderne". La ger est l'habitat traditionnel des pasteurs de la steppe depuis la nuit des temps. Elle est conçue pour résister aux vents puissants sans ancrage dans le sol, rester chaude en hiver et fraîche en été, et surtout être démontable et transportable facilement. On peut aussi dire yourte.
 

 

2 mai 2004
Aujourd’hui nous sommes allés à Bayanurts acheter nos chevaux. Situé à 130km d’Ulaanbaatar, il nous aura fallu plus de 3 heures de piste et de steppe pour rejoindre ce petit village. Le camp de Tserenpil est situé à 5km de cette bourgade adossée à une belle petite montagne. C’est Tserenpil qui doit nous trouver les 5 chevaux dont nous avons besoin pour voyager pendant les 7 mois qui viennent. Mais avant de parler chevaux, il faut parler tout court...
Thé salé au lait, crème de lait, viande séchée, vodka, tabac à priser… La ronde des gâteries et des petits cadeaux n’en finit pas ! Accueil formidable, simple et généreux. Nous ne connaissons encore presque rien de la Mongolie, pourtant si nos premières rencontres sont le reflet des futures, nous ne voudrons jamais rentrer. À Bayanurts, la tempête de neige a balayé les steppes toute la nuit et les troupeaux de chevaux sont dispersés. Alors pendant que les hommes, magnifiques et fiers dans leur del, partent chercher nos futurs compagnons de voyage, nous restons avec les femmes et les enfants au camp.
Les enfants sont beaux. D’autant plus beaux qu’ils ont l’air tellement heureux. Les joues bien roses et les yeux en amande, ils n’arrêtent pas une seconde de jouer et de chahuter. À n’en pas douter ce sont eux les rois du camp. Nous sommes là, spectateurs émerveillés à contempler ces enfants qui se font une fête à chevaucher le malheureux agneau qui a eu l’audace de sortir de son enclos… Quand on a 4 ans, quoi de mieux pour faire un petit peu de rodéo, qu’un petit agneau ? < /P>
Voilà ! L’avion cargo qui transportait nos selles, prêtées par J.M. Guichard, s’est enfin posé à UlaanBaatar (avec 10 jours de retard quand même). Nous pouvons donc partir. Notre chambre sent déjà le voyage, remplie qu’elle est des odeurs de cuir et de graisse de mouton. Hier soir, c’était notre dernière nuit dans le béton de la ville, ce soir nous dormirons sous la tente, bercés par le vent. Avec minutie, nous avons réparti dans nos 4 sacs de bats l’ensemble de notre équipement, pesé et équilibré les futures charges. Avant que le voyage ne donne à ces gestes quotidiens leur automatisme et leur assurance, il faut nous appliquer encore plus. Après tant d’attente, après tant d’espoir, c’est presque religieusement que nous exécutons ce premier chargement. L’excitation est presque palpable, le bonheur aussi. Nos chevaux nous attendent...
 

 

25 mai 2004

 

Voilà deux semaines que nous avons quitté Bayanurts avec nos chevaux.  Petite mésaventure : Dans la nuit du 18 mai, nous nous sommes faits voler quatre de nos six montures !  Même Sergent, notre nouveau chien n’a pas bronché … Faudrait peut-être le rebaptiser !  Au lendemain, nous avons fait du pouce avec nos innombrables bagages jusqu’à Karakorum, une ville à environ 150 kilomètres, pour trouver de nouvelles montures.  Forts de nos expériences précédentes sur marché équin et le marchandage mongol, nous avons réussi à vendre nos deux chevaux et à nous trouver cinq belles bêtes pour un bon prix.  Les choses sont entrées dans l'ordre, sauf que Corentin dort à présent à l’extérieur de la tente et se réveille au moindre bruit !  Nous n’avons pas pris de retard et approchons les chutes d’Orkhon.  Ensuite, ce sera Tsetserleg, la capitale de la région de l’Arkhangaï.

 

Deux semaines, ce n’est rien et pourtant, ça peut être tant !  Pour nous qui avançons au rythme de nos petits chevaux, en découvrant un nouvel univers, c’est beaucoup.  Déjà tant de choses vécues et autant de souvenirs qui viennent se mettre au chaud dans nos têtes.  Le rythme du voyage commence à entrer dans nos corps et les gestes un peu maladroits des premiers jours deviennent, avec le temps, des automatismes bien huilés. 

À l’ouest d’Ulaanbaatar, et jusqu’à l’Arkhangaï, nous chevauchons dans des steppes arides.  Longues plaines vallonnées et sèches que viennent encadrer de ci de là de petits reliefs montagneux.  La terre a soif, ta peau craquelle, et l’herbe dont nous avons tant besoin est rare.  Pas de rivières, pas de lacs pour étancher la soif de nos chevaux.  Juste quelques puits qu’il nous faut chercher longtemps.  Nous cherchons les hommes.  Là où vivent les hommes, il y a un puits, il y a l’eau.  Nous arrêtons ainsi souvent nos journées non loin du campement d’une famille.  Chaque fois, la même hospitalité nous est offerte.  Ici, on entre sans frapper et on va s’asseoir sous le toît rassurant de la ger, à la chaleur du poêle qui occupe invariablement le centre de l’habitation. 

Blottis contre les épais murs de feutres, on peut enfin se laisser aller un peu. À notre arrivée, le thé salé au lait saute dans les bols qui à leur tour sautent dans nos mains.  Nous accueillons ce cadeau avec toujours autant de plaisir.  Parfois même, quand le vent glacé du printemps nous fouette depuis trop longtemps, nous faisons un petit détour pour telle ou telle ger aperçue un peu plus tôt, juste pour se faire offrir un peu de ce fameux thé au lait !  Mais parfois, ce liquide a la couleur du deuil : lorsque les vaches n’ont pas vêlé au début du printemps, la famille devra attendre à l’année suivante pour goûter le lait, si précieux en ces terres arides.  On comprend qu’un tel événement peu avoir des répercussions désastreuses ici.

 

D'autres récits bientôt,

 

31 Mai 2004

 

Le premier vol

L’aventure continue avec ses joies et ses peines.  Le 17 mai au soir, nous montons notre camp proche d’une famille d’éleveurs et d’une source d’eau qui jaillit en grosses bulles du cœur de la terre.  La lumière jaune du soir étire les ombres et donne du relief à la steppe.  Il n’y a aucun autre endroit au monde où nous aimerions être en ce moment. Nous sommes si bien au milieu de nulle part, avec nos chevaux.  Pourtant, le matin n’aura pas le même éclat, et même le soleil qui apparaît doucement à l’horizon ne nous apportera aucun réconfort.  En nous levant, quatre de nos six chevaux ont disparu.  Il ne faut pas longtemps pour comprendre qu’on nous les a volés, car les chevaux attachés et entravés ne peuvent aller loin.  Nous sommes abattus.  Nous restons un moment à genoux, sans rien dire, à encaisser le coup comme un pauvre boxeur qui n’aurait pas vu venir la droite terrible.  Je selle avec Naraa les deux chevaux restants et, avec l’aide du vieil éleveur et de son fils dont nous étions les invités, nous partons chercher quelques traces.  À cinquante mètres du camp partent quatre pistes parallèles qui fuient jusqu’aux montagnes pour se perdre au milieu d’autres pistes et de la rocaille.  Plus de doute, on nous volé nos chevaux!  De retour au camp, nous nous retrouvons sous la tente pour décider de la suite à donner à nos plans.  La femme de l’éleveur nous prépare du thé au lait salé pour nous remonter le moral, mais déjà nous sommes, prêts à repartir.  Si on nous a volé nos chevaux, on ne nous a sûrement pas volé notre envie!  Puisqu’ici nous ne trouverons pas de chevaux pour remplacer les nôtres, nous décidons de vendre ceux qui nous restent et de repartir à zéro.  Nouveaux chevaux, nouveaux horizons, laissons loin derrière ce triste intermède.  Avant de quitter nos compagnons de voyage que nous avions déjà appris à aimer, nous nous offrons un long et terrible galop dans la steppe, un galop qui nous grise et regonfle nos voiles. 

De retour sous la ger de nos hôtes, tout le monde se presse pour nous aider à oublier ce triste matin.  Il est des accueils que l’on n’oubliera jamais, celui-ci en fait partie.  La vieille dame sort d’un superbe coffre en bois peint un magnifique del bleu (c’est la robe que les femmes portent) qu’elle tend à Mélanie.  Au revoir Samdantamda (notre hôte), nous ne vous oublierons pas!

 

 

1er juin 2004

 

La suite…

Il nous faut six jours pour retrouver cinq chevaux qui nous plaisent, car comme partout ailleurs, les éleveurs ne veulent pas se séparer de leurs beaux chevaux.  Nous sommes aux portes de l’Arkhangaï. Devant nous, et sur des centaines de kilomètres, s’étend la deuxième plus grande chaîne de montagnes de la Mongolie.  Désormais, nous chevauchons au milieu de superbes vallées verdoyantes, cette verdure qui nous manquait tant, la voilà à profusion autour de nous.  L’herbe est grasse et abondante et toutes les vallées ont leur rivière.  Les montagnes au crâne souvent chauve gardent pourtant toujours leur tonsure de mélèzes, qui souvent leur descend jusqu’aux épaules.  De nouveaux des forêts!  De belles forêts que le vert tendre des mélèzes rend lumineuses. Parfois je me prends à penser qu’il y a vraiment tout ici pour être heureux : les montagnes pour rappeler aux hommes l’échelle des choses, des pâturages pour les bêtes, des rivières fraîches et claires pour étancher la soif et offrir une belle truite pour le dîner, des forêts de mélèzes droits et fiers et, partout comme des ornements, les fleurs et les oiseaux qui viennent ajouter couleurs et chansons à ce petit paradis.  La présence de toute cette forêt et de toute cette richesse change quelque peu les habitudes des hommes qui y vivent.  Les camps de gers ont tous des grosses bergeries en tronc de mélèze et certaines familles se construisent même pour l’été de petites maisons en bois au profit desquelles elles délaissent la ger pendant les mois chauds.  L’ornement des gers aussi change : les peintures des portes et des meubles n’arborent plus les mêmes motifs, mais surtout la vache a disparu au profit du yack, plus robuste et plus à même de vivre dans ces montagnes.  Depuis le vol de nos chevaux, nous redoublons de vigilance : nous ne les laissons plus un instant, même la nuit.  Le soir après les avoir attachés à leur longe, je vais installer mon duvet au milieu d’eux et ainsi, chaque nuit, allongé sur mon tapis de selle, abrité par mon grand imper russe, je m’offre le grand ballet des étoiles.  Quel luxe de s’endormir avec un tel spectacle!  Mais les nuits sont froides et humides et souvent le matin, je me réveille dans une gangue de glace avec quelques cernes en plus.  Chaque soir, lorsque je ferme les yeux au camp, j’entends à côté de moi les chevaux qui broutent, et le vent frais qui vient nous ôter la lassitude d’une longue journée.  Nous portons toujours ce sentiment de plénitude que notre mésaventure avait voulu nous enlever.

 

14 juin 2004

 

Quelques semaines ont encore passé et nous voilà en route pour le lac Kövsgöl.  En commençant ce texte, nous savons qu’il sera dur d’y faire tenir tout ce que nous avons vécu, mais surtout la façon dont nous l’avons vécu. 

 

Le 26 mai, nous montions notre campement aux abords d’une source chaude.  Un nuage de vapeur s’élève de la source, qui nous invite à venir nous baigner et nous débarrasser de notre fatigue dans une eau chaude.  Le lendemain, nous remontons vers le  Nord pour rejoindre la capitale de la région afin d’y refaire des vivres.  Nous remontons d’étroites vallées boisées et de grands vallons chauves en courant devant un orage auquel nous finirons par échapper.  Finalement, après quelques arrêts de politesse, parfois dictés par la gourmandise, dans quelques gers rencontrées sur notre route, nous arrivons sur les rives de la rivière Tamyr.  Comme toutes les villes, Tsetserleg n’est pas aussi sûre que ses campagnes.  Aussi décidons-nous de ne pas s’approcher plus et de rester là pour aujourd’hui.  Les sept kilomètres qu’il faudra faire le lendemain pour se ravitailler seraient vite couverts avec nos chevaux. 

 

Vers trois heures du matin, l’orage que nous pensions avoir déjoué nous surprend et nous oblige à rentrer sous la tente.  Mais à cinq heures, lorsque la pluie aura cessé et que Corentin sortira dehors, trois des chevaux manqueront à l’appel.  Si nous avions pris sereinement le premier vol de nos chevaux, celui-ci est beaucoup plus dur à encaisser.  Il n’est sûrement pas nécessaire de raconter encore une fois la ronde des familles voisines à réveiller, les recherches et surtout, le désespoir.  Il nous faudra plusieurs heures après être rentrés au camp avant même d’avoir l’envie de ressortir de la tente.  Cette fois, il nous semble qu’il s ont pris plus que des chevaux.  Heureusement, il y eût la famille voisine.  Autour de leur foyer et de bols de thé salé, nous leur racontons notre histoire, la raison de notre présence ici.  C’est à ce moment-là que notre malheur commencera à changer de visage, quand ils nous proposeront de rester avec eux quelque temps.  Au début, il faut se forcer pour trouver l’envie de filmer, d’aller vers l’autre. Et puis, à la fin du premier jour, une sorte d’alchimie commence à se créer.  La spontanéité et surtout l’honnêteté  et la gentillesse avec lesquelles ces familles nous ouvrent leurs portes et leurs vies nous séduisent, nous transporte.  Pas un instant, nous ne pouvons nous reposer.  Il y a toujours quelqu’un pour venir nous entraîner sur telle ou telle piste, vers telle ou telle tâche qu’on veut nous montrer, mieux, nous apprendre.  Traire les yaks, les brebis, fabriquer les fromages, la crème, ramener le bétail, ou bien coudre le feutre.  Toujours, on vient nous chercher.  On nous donne des rendez-vous : « Surtout, sois là demain matin à sept heures, je fabriquerai le yaourt! » dit la grand-mère.  Elle est belle, avec son visage rond et brun, où le temps a gravé les traces de tous ses sourires.  Elle chuchote plus qu’elle ne parle, comme si elle partageait avec nous des secrets importants.  Et puis, elle part sans arrêt dans des fou-rires qu’elle étouffe comme une enfant. Les jours passent et nous commençons à comprendre tout ce que nous avons gagné dans cette mésaventure.  Nous recevons, sur notre téléphone satellite, un message qui nous frappe par sa justesse et son à-propos : « De la route, il faut tout attendre, mais surtout ne pas avoir d’attentes ». 

 

Et puis, arrive le grand jour pour une des familles qui a décidé de rejoindre ses campements d’été.  La veille, on a récupéré chez les voisins, des yaks robustes, des charrettes, et quelques bras.  En quelques heures, la ger est démontée et chargée sur les attelages, suivie de près par les meubles.  Là où la ger reposait, on voit le sol fané, et à l’endroit où brûlait le poêle, on brûle quelques bouses sèches.  Les yaks, que l’on emmène entre les bras des charrettes bondées, sont attelés.  Ils restent là, impassibles, à attendre le signal du départ.   Les roues de bois des chariots se mettent à grincer, et doucement, c’est toute la caravane qui s’ébranle et avance.  Visions d’un autre temps, avec ces attelages fantastiques, tous de bois et de chair.  Nous progressons à travers des saules centenaires.  À chaque passage difficile, les yaks baissent la tête et s’arc-boutent.  Nous progressons lentement.  Les enfants, en charge de la conduite des attelages, sont juchés sur le dos des bêtes et crient pour les faire avancer, tout en les dirigeant avec la corde passée dans le gros anneau qu’on leur a mis au nez.  Le camp d’été ne se trouve pas très loin.  Tout au plus, une dizaine de kilomètres.  Chaque année, on fait le même voyage, car on sait que là-bas, on trouvera de l’herbe, de l’eau, mais aussi du vent pour chasser chaleur et moustiques.  C’est le nomadisme des steppes.  Pas de grands voyages, pas de bohême, ni de départs sans buts.  Cinq, dix, quinze, vingt kilomètres, toujours les mêmes, à moins que la sécheresse n’ait gâché les pâturages.  On retrouve tous les ans la même terre.  Quand les chariots s’arrêtent, tout est immédiatement déchargé.  La femme reprend possession de son poêle qu’elle rallume aussitôt pour faire le thé salé et désaltérer son monde.  Pendant que les hommes dresseront les murs en treillis de la ger, elle lavera la structure en bois du toit.  Alors, rapidement la ger reprend forme.  D’abord squelette de bois, on ajoute sa chair de feutre et sa peau de  toile.  En quelques heures, tout est fini et reste seulement l’impression que cette ger est là depuis toujours.  Pendant qu’on rentre les meubles, d’autres partiront refaire un voyage pour ramener le bétail.  Voilà, tout est fini!  Enfin, jusqu’à l’automne. 

 

Après cette semaine passée ici, il faut songer à repartir.  Notre belle grand-mère nous propose de rester avec eux jusqu’à l’hiver.  Et ce n’est pas l’envie qui nous aurait manqué pour accepter.  Notre tristesse et notre désespoir sont bien loin maintenant.  Et nous savons, au moment de partir, toute la chance que nous avons eue de trouver ces familles et de vivre un peu avec elles.  Oublions ce vol.  Après tout, que serait l’aventure sans aventures, et sans mésaventures?

 

Mélanie et Corentin continuent leur périple maintenant sans Naraa, le jeune guide et interprète qui les a accompagné jusque là.

Dès son retour à Ulan Baator, Naraa nous a envoyé par courriel un petit mot où il nous apprend qu'il est fier d'avoir essayé notre matériel. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'on est encore plus fier d'avoir été "testé" par un cavalier mongol tel que lui !

Il nous tarde de voir les fameuses photos ...

Voici donc un extrait de son message ci-contre:

"15 juin 04, Ulan Baator

Bonjour,

Je suis toujours content que vous êtes aussi rapide pour répondre. C'est sur que je garderai un bon souvenir d'eux. Et j'espère qu'ils continuent leur périple sans vol.
................................................................................................................................
Oui, je suis monté sur vos selles (celle pour monter et celle de bât) qui étaient impressionnantes pour les Mongols. Elle était très confortable. Mais de longs étriers. Avec çà je pouvais pas galoper debout. Mais c'est normal pour un européen qui a de longues jambes (Corentin) d'avoir les étriers comme çà. Je pense que, quand ils seront revenus en France tu vas recevoir une photo de moi sur votre selle, même celle d'un homme sur la selle de bat. Au fait, le système de bât français est moins compliqué que celui de chez nous et c'est bien fait. Parfait. La selle de bât est aimée par tous les Mongols que nous avons vus et la selle pour monter aime être achetée par eux. Mais quand je leur ai dit un peu sur le prix...
Je vous dit à bientôt et bonne chance pour la vente des selles"
NARAA

 

 

6 Juillet 2004

 

Doucement, nous avons quitté l’Arkhangaï et ses régions boisées pour rejoindre la région Khövsgöl.  D’ici quelques jours, nous arriverons sur les rives du Grand Lac.  Depuis maintenant deux semaines, nous suivons une route, ou plutôt un chemin de terre, qui remonte vers le Nord à travers de fantastiques paysages.  Tantôt hardie, la route  grimpe à l’assaut des cols et des crêtes, où nous perdons sa trace dans la rocaille, pour la retrouver quelques kilomètres plus loin, lascive, qui serpente entre d’étroites vallées.  Tantôt pressée, elle s’élance droite et agressive sur plusieurs kilo mètres dans une large vallée avant de s’ennuyer des cîmes et d’y retourner s’y perdre.  Partout, les montagnes : Paysage parfois minéral, seulement teinté de ci de là par quelques veines d’herbes, seul souvenir d’une pluie passée.  Grandiose austérité qui atteint le silence.  Nous ne parlons plus.  Chacun, à l’intérieur de lui, goûte à cette magie.  Et puis, au détour d’un col, s’étale une vallée verdoyante.  Au fond coule encore un petit ruisseau.  L’herbe tendre avale la roche, recouvre les sols.  Là-bas quelques gers et puis plus loin, à flanc de montagne, des miettes de nuages.  Ce so nt les moutons qui paissent.  D’un coup de joie, les mots, l’envie de rire.  Sur les pentes vertes, se sont posées quelques énormes roches grises et riches à qui sont venus tenir compagnie quelques mélèzes centenaires.  Il y en a un très vieux, tout ridé, dont les branches hésitent sur la direction à suivre pour grandir, que les hommes ont paré de dizaines de foulards bleus.  À cet ancêtre, on prête sûrement quelques liens avec les esprits et le « Grand ciel bleu ». 

 

Nous sortons de la ville en longeant une vallée au milieu de laquelle coule une large rivière.  Sur quelques dizaines de mètres de part et d’autre de l’eau, poussent des iris violets.  Un enfant pêche à la truite.  Il jette dans le courant son fil, au bout duquel se trouve un hameçon et une sauterelle, et le ramène doucement.  À côté de lui, cinq grosses truites se rependent de leur gourmandise.  Nous nous arrêtons pour lui parler un peu.  Impensable pour lui que nous ne profitions pas de la générosité de cette rivière, aussi repartons-nous a vec une de ses cannes à pêche faite maison et sa plus grosse truite qu’il nous offre pour que, dans tous les cas, nous ne soyons pas bredouilles.  Finalement, nous montons notre tente quelques kilomètres plus loin dans un champ d’iris, après avoir franchi l’eau bouillonnante de la rivière.  À cent mètres de là, une ger et une petite maison de bois.  En nous voyant ramasser un peu de bois flotté pour faire cuire notre truite dans la braise, les enfants d’à-côté accourent pour nous aider à nous  faire une belle réserve de bois flotté, et puis s’en retournent comme ils sont venus, tout sourires. 

 

Les jours passent, les jours ronds, comme l’écrivait Giono, pleins de vie et de matière, pleins de bonheur et de douce humanité aussi avec ses superbes rencontres.  Il y eût cet enfant au bord de l’eau, et puis la famille du champ d’iris, puis il y eût cet homme croisé sur la route qui nous dessina sur le sol une carte pour nous rendre chez lui, à 15 kilomètres pour nous reposer.  Trois heures plus tard, la chance aidant, au moins autant que sa carte, nous étions sous sa ger en train de déguster un bon thé salé.  Et puis il y a quelques jours, cherchant une source pour nos chevaux, nous sommes arrivés chez Polto et sa femme Vianda.  Nous avons passé chez eux trois journées à nous reposer et à nous initier dans leur vie.  Tonte des moutons, traite des chèvres, capture des chevaux…nous ne nous sentions jamais de trop.  Ils semblaient même apprécier l’aide que nous essayions de leur apporter.  Leur générosité fut aussi grande que l’endroit était beau.  Nous dégustions chaque jour des litres et des litres d’un yaourt maison divin, que les enfants nous apportaient par bidons entiers.  La veille du départ, ils tuèrent une de leurs chèvres et nous offrirent un grand festin.  La chèvre fut cuite dans un grand bidon métallique dans lequel on glissa des pierres chauffées à blanc.  Nous avons commencé le repas en dégustant les viscères de la bête, présentées dans une grande bassine émaillée, où chacun arrachait avec son couteau les morceaux qui lui plaisaient.  Malheur à celui dont la gourmandise lui aura fait faire des excès de rognons (n’est-ce pas, Corentin ?), car viendra ensuite la viande et le riz, et enfin le fameux yaourt ! 

 

Nous étions tous assis un peu partout dans la ger, certains par terre, d’autres sur les lits ou sur les tabourets, et tout ce petit monde qui parlait, riait ou mimait,  qui coupait et mastiquait à tour de bras, respirait le bonheur.  Nous serions bien restés là quelques semaines de plus, mais la route était là qui nous attendait, et il nous fallait partir.  Des rencontres comme celles-ci, il y en eût presque tous les jours.  Combien de fois fut-on arrêtés aux abords d’une ger pour venir prendre le thé ?  On ne les compte plus.  Mais elles restent gravées en nous, et longtemps après que la chaleur du thé s’en fût allée, la chaleur de ces rencontres et de cette hospitalité nous réchauffait encore.

 

Dans quelques jours, le lac Khövsgöl.  Nous avons hâte de nous y trouver et surtout de nous y reposer, car jour après jour, la fatigue s’accumule et pèse.  Ce n’est pas tant les journées à pied ou à cheval qui usent que les nuits trop courtes et trop découpées.  Bien sûr, s’allonger dehors avec ses chevaux, s’endormir sous les étoiles et voir chaque matin le soleil se lever, sur des paysages chaque fois plus beaux, sont l’un de nos plus beaux cadeaux.  Et aussi ce sont parfois la pluie, l’humidité on encore les chevaux énervés, qu’il fait sans cesse aller voir et calmer. 

 

PS:

Les selles sont géniales!  Tous les Mongols veulent en acheter.  Les selles de bat sont particulièrement utiles et vont très bien sur les chevaux.  Merci beaucoup!

 

28 Juillet 2004

Khövsgöl, le voilà enfin devant nous, immense (130 km de long) et superbe avec ses eaux turquoises, dans son écrin de forêts et de montagnes!
Cela faisait presque 3 semaines que nous pointions dans sa direction et il nous tardait d'y arriver : un peu comme la route des vacances lorsque nous étions enfants et que les promesses de mer se faisaient attendre dans la voiture. Nous arrivons par le sud, par Hatgal. Village désert, maisons de bois cachées par des haies de planches, qui pour beaucoup ne retrouveront leurs occupants qu'à l'hiver. Les rues de terre et d'herbe y attendent en vain des piétons. Pourtant la région, une des perles de Mongolie, draine nombre (c'est relatif) de touristes mongols et étrangers. Mais ceux-ci préfèrent bien sur s'arrêter un peu plus loin sur les rives du grand lac. Alors après Hatgal, nous obliquons vers l'ouest pour aller chercher à notre tour cette petite mer. Quel plaisir indicible que de contempler cette grande eau, lorsque comme pour nous le quotidien devait se contenter de puits et de filets d'eau un peu plus souvent qu'à son tour.

Nous établissons notre camp à une quarantaine de kilomètres au nord d'Hatgal, après avoir laissé derrière nous les camps touristiques, dont les gers poussaient là avec une certaine anarchie. À 100 mètres de notre tente se dressent deux grands tipis. Des rennes, bois en velours, paissent un peu partout, pour les uns entravés, pour les autres attachés par paires. Les longues perches de mélèze qui portent la toile des tipis vont se croiser bien haut au dessus du poêle central où cuit le fromage de renne. Au sol, des peaux servent de plancher et derrière les perches sont glissés, comme derrière les rayons d'une ger, quelques objets. À côté de la porte, suspendus à quelques ficelles, sèchent des morceaux de viande. Ces deux tipis appartiennent à une famille Tsataans (1), descendue des montagnes pour profiter quelques semaines du tourisme florissant de la région. Tant que leurs rennes trouveront de quoi manger au bord du lac, ils resteront là, à vendre leur artisanat, puis s'en retourneront dans les montagnes, coupés du reste du monde. L'argent ainsi ramassé permettra de passer l'année et aidera les enfants à aller à l'école. Pour nous qui sommes habitués aux steppes désertes, ce petit commerce semble bien étrange, parfois même gênant.

(1) Groupe ethnique vivant dans le Nord de la Mongolie et dont le mode de vie tourne autour de l'élevage du renne. Tsa= renne ; taan= peuple.


Attirés par les rennes, nous nous étions arrêtés visiter ces tipis, et avons rencontré, sous leur toile écru deux françaises, Corinne et Brigitte. Depuis trois ans, Corrine vient étudier le chamanisme avec Enketouia, la chamane Tsataan. Elles commencèrent à nous raconter le chamanisme, et ce qui sous la ger n'est jamais dit clairement, mais qui pourtant semble si important pour tous. De bien trop belles histoires pour avoir envie de repartir tout de suite. Sans elles et à cause de la barrière de la langue, nous serions sûrement passés à côté de beaucoup de choses.

Le chamanisme, pratiqué depuis toujours en Mongolie, connut des heures noires quand les communistes arrivèrent au pouvoir et décrétèrent illégales ces pratiques. On pourchassa alors les chamanes. Heureusement, quelques-uns continuèrent à pratiquer dans l'ombre et à transmettre leurs connaissances. Depuis 10 ans, le retour de la démocratie, le chamanisme a pu revenir au grand jour. Mais il suffit d'observer les autels dans chaque ger, les ovoos (2) qui se dressent, magnifiques, à chaque col pour savoir que jamais les esprits ne furent oubliés par les nomades. Nous passerons donc trois jours dans les tipis à écouter, apprendre et surtout à essayer de comprendre. Il faut dire que de toute façon, Corentin, qui s'est fait un lumbago, ne peut aller bien loin. Nous avons des milliers de questions à poser à Corrine, qui vit le chamanisme à travers son éducation occidentale. À quoi donc peut ressembler le chamanisme dépouillé de son manteau culturel ? Vit-elle la même chose que les chamanes mongols ? Et d'abord, que vit-elle ? Que voit-elle ? Corrine est réservée, un peu pudique, pas du tout "flyée". Les deux pieds sur terre, elle parle de façon posée et honnête de ses expériences. C'est peut-être ça qui la rend si attachante. La veille de notre départ, nous avons la chance d'assister à une cérémonie, qui même pour les plus cartésiens d'entres-nous (hein Corentin…) suscitera en nous de fortes interrogations.

(2) Ovoo: Amas de pierres ou branches en forme de pyramide, le plus souvent orné de foulards bleus, représentant la demeure des esprits. On les retrouve sur les cols et les sommets. Pour s'attirer les bonnes grâces des esprits, les mongols, en passant devant un ovoo, en font trois fois le tour dans le sens des aiguilles d'une montre. À chaque tour, ils déposent une offrande ou une pierre sur le ovoo.


C'est un jour impair, et donc la cérémonie peut avoir lieu. Pendant toute la journée, Enketouya finit de préparer les vêtements de Corrine. Des rubans y sont ajoutés, des plumes de tétras sont fixés sur le masque, l'autel est dressé et de petites offrandes (bonbons, cigarettes, vodka) y sont déposés. Il fait presque nuit maintenant. A l'intérieur du tipi, les gens sont serrés les uns contre les autres, le dos contre la toile. Deux bougies brûlent doucement et éclairent l'intérieur. Au dessus du poêle est suspendu le grand tambour qui tout à l'heure emmènera la chamane. Pour le moment, sa peau sèche doucement. Dès que la première étoile fait son apparition, la cérémonie peut commencer. On habille la chamane (Corrine) et on lui tend le tambour. L'odeur puissante du genévrier brûlé emplit le tipi. Le tambour commence à distiller dans l'air sa chanson régulière. Les anneaux de métal, fixés au bâtoir, rendent le son presque irréel. Enketouya assise près de l'autel accompagne Corrine avec sa guimbarde. Nos voisins mongols, tout à l'heure si volubiles sont maintenant on ne peut plus solonels. Certains semblent même apeurés (qui a dit que les vieilles croyances avaient disparues ?). Le chant du tambour continue, régulier, envoûtant, presque palpable. Et puis tout à coup il s'emballe, ralentit, repart... la transe a commencé. La femme sous le masque n'est plus la même. Elle grogne et renifle à la manière d'un loup. Notre voisin plonge la tête dans ses mains. La chamane se déplace dans le tipi, la femme-loup chasse les mauvaises énergies. Pendant presque une heure, cette impressionnante cérémonie nous emmènera bien loin de nous-mêmes. Et au moment de regagner notre tente et nos duvets, beaucoup de questions viendront nous empêcher de trouver sommeil.

Cela fait maintenant trois mois que nous sommes en Mongolie et notre visa touche à sa fin. Nous nous doutions depuis longtemps (depuis le 2e vol de nos chevaux) qu'il serait très difficile de rejoindre à temps la frontière ouest. C'est maintenant chose sûre. Pas question de courir après cette frontière et sacrifier dans une course contre le temps les rencontres que la route nous offrait, rencontres qui sont l'âme de notre voyage. Aujourd'hui, il faut donc revendre nos chevaux pour rejoindre autrement l'Altaï et y racheter d'autres chevaux. Nous étions préparés à cette éventualité de laisser nos compagnons de voyage. Pourtant ce fut bien plus dur que nous l’imaginions et lorsque le moment vint d’enlever leur licol, nous n’osions pas lever la tête. Chacun, les larmes aux yeux, essayait de retenir ses sanglots. Comme le font les mongols avec leurs bons chevaux dont ils doivent se séparer, nous arrachâmes quelques crins à la queue de nos compagnons et les laissâmes sans nous retourner à leur nouvelle vie, serrant dans nos mains ces quelques poils qui nous feraient nous souvenir d'eux à jamais.


29 Juillet 2004

Pour plus d'informations sur le chamanisme en Mongolie (en référence au dernier récit), Corrine Sombrun a publié deux livres sur le sujet:
"Journal d'une apprentie chamane" aux éditions Pocket, et "Une Parisienne en Mongolie: mon initiation chez les chamanes" éditions Albin Michel, 2004.

 

Ci-contre ENKETUYA, la chamane rencontrée au bord du lac Kvösgol

Le genre de rencontre que l'on est pas prêt d'oublier !

10 août 2004

Depuis notre arrivée en Mongolie, les gens nous parlent de ce grand moment de l'année : le Naadam. Pas question donc pour nous de manquer cette grande fête. La veille de celle-ci, le village (Hatgal) a dressé sur un petit plateau des tentes colorées et quelques bancs qui délimiteront l’arène où demain les lutteurs s’affronteront. Le matin du grand jour, le 11 juillet, toute une foule de marchands vient grossir le nombre des tentes déjà installées. On vend de tout. À croire que tous les commerces du coin ont ouvert des succursales « sous bâches ».
Des drapeaux dansent au bout de leur hampe, imités autour de l’arène par la longue ceinture de fanions qui la délimite. La musique joue dans les hauts parleurs, hommes et femmes ont revêtu leurs beaux dels, et partout des cavaliers venus de tous les environs assister aux compétitions finissent d’habiller cette journée pour la fête et ajoutent encore à l’ambiance.

Au nord et au sud de la petite arène de gazon, se dressent deux grandes tentes qui font de l’ombre à quelques notables. Dans la tente en toile bleue brodée, avec la devanture ouverte, on enregistre les noms des futurs lutteurs. Plus loin, une table écrasée par un parasol accueille un seau d’Aarul (fromage) en miettes qui leur sera distribué tout à l’heure. Au centre de l’arène, les “entraineurs”, assis dans le gazon vert et parés de leurs dels mauves et leurs couvre-chefs, attendent les lutteurs. Ceux-ci arrivent doucement. Certains portent encore leur del, tandis que d’autres ont déjà revêti l’habit minimaliste. La culotte de toile brodée de gros fils argentés et la veste assortie ne sont pas sans rappeler les costumes étriqués qui sont portés dans les arènes espagnoles (1). Il est presque midi et les premiers combats commencent. De chaque côté de la grande tente bleue, trois lutteurs s’avancent au centre de l’arène. Ils s’inclinent chacun devant un entraîneur pour que leur chapeau leur soit ôté. Après avoir exécuté une dernière danse, les lutteurs se retrouvent en duel, face à face. Les mains s’agrippent, les jambes se font piliers et les regards deviennent d’un coup moins amicaux. Parfois le combat finit en quelques secondes, parfois il s’éternise. Les hommes en mauve encouragent alors les lutteurs épuisés à trouver la force de se battre encore en leur donnant des tapes sur les fesses (vu la taille des bébés je ne m’y risquerais pas moi) ! 1, 2, 10, 30 combats, les lutteurs se succèdent. Le vainqueur redresse le vaincu, s’en va faire quelques pas de danse puis revient faire passer le vaincu sous son bras tendu à la manière des fourches caudines.

(
1) On raconte qu’à l’origine de cette veste minimaliste, qui ressemble plus à deux grandes manches cousues dans le dos, il y avait une femme. C’était il y a bien longtemps et cette femme, qui était aussi forte que les hommes, participa à la compétition déguisée en homme. Elle vainquit tou s les lutteurs qui se présentèrent et ce n’est que lorsqu’elle eût remporté le titre qu’on découvrit sa véritable nature. Depuis, les lutteurs doivent porter cette veste qui leur découvre la poitrine.

Tout à coup, au beau milieu d’un combat, la foule quitte en courant l’arène pour rejoindre la piste en contrebas. Les lutteurs restent seuls, enfin avec nous qui n’avons rien compris. Ils semblent alors un peu ridicules, ces deux colosses en slip agrippés l’un à l’autre au milieu du gazon déserté. Une dame dans un beau del rose qui passe en courant nous crie que les chevaux arrivent. Nous nous mettons à poursuivre le del rose pour ne pas manquer l’arrivée de la course (2). La piste est déjà encadrée par deux épais rubans de foule excitée. Au loin, les premiers chevaux arrivent dans un nuage de poussière, poussés par des voitures. Le chapelet de cavaliers s’étire loin à l’horizon. Un premier cheval, magnifique avec son poil brillant de sueur, franchit la ligne d’arrivée. Sur son dos, son jeune jockey de 7 ans, cravache et talonne encore comme un diable et disparaît bientôt derrière les tentes. Des cavaliers sortent de la foule et se lancent au galop pour escorter le vainqueur. Un deuxième cheval franchit la ligne, monté par une fillette de 4 ans qui semble démesurément petite sur son perchoir de course. Cela ne l’empêche pas de crier et de cravacher elle aussi comme une petite furie. D’autres cavaliers, des parents peut être, sortent de la foule pour l’escorter à son tour. Les cavaliers arrivent maintenant par petits groupes de deux ou trois et même si la course est déjà jouée, les enfants centaures continuent de se battre pour franchir la ligne d’arrivée. Parfois un cheval qui a perdu son cavalier arrive tout seul. Il est vrai que pour
ces enfants qui montent à cru des chevaux aussi fougueux, la partie n’est pas sans risques. Le dernier cheval arrive enfin, presque au pas malgré les invectives de son cavalier. Mais la foule reste tout de même à l’acclamer comme les autres, puis retourne enfin aux lutteurs délaissés. Messieurs et mesdemoiselles les jockeys, chapeau bas, vous nous avez vraiment impressionnés ! Toute la journée ressemblera à ces quelques instants. Vers 18heures, les compétitions s’arrêteront pour reprendre le lendemain matin avec les phases finales. Nous resterons encore deux jours à Hatgal, après la fin des compétitions, pour organiser la suite de notre périple.

(
2) Le départ de la course est donné, dans la plus grande indifférence, à une douzaine de kilomètres de la ligne d’arrivée.

Direction la Russie : Après 25h de minibus, les genoux dans le front et un enfant sous le bras (oh, il est mignon il dort… oh! Mais il me bave dessus aussi le chérubin !), deux jours de train et pas mal d’attente, nous voilà enfin à Novossibirsk. L’absence de voies de communication rapides et directes nous oblige à un long et, faut il vraiment le préciser, pénible détour. Novossibirsk, la grande ville sibérienne enjambe l’Ob en prenant des allures de grande dame (enfin, de grande dame d’usine). Pour nous, elle a surtout l’immense qualité d’être la grande porte d’entrée vers l’Altaï. Nous débarquons sur les quais et… et il faut bien l’admettre: sans nos chevaux et avec nos dizaines de kilos de sacs et de selles, nous ne sommes pas très mobiles. Pendant cinq heures, Corentin courra les hôtels de la ville pour nous trouver un lit pas trop cher. En vain, car aucun de ces établissements ne veut de “touristes” (c’est quand même un comble). Tous ? Non, il y en a bien un qui veut de nous, mais c’est bien sûr le plus chic hôtel de la ville ... Et, parce qu’un gâteau sans cerise dessus n’est pas vraiment complet, c’est aussi le seul endroit ou l’on peut s’enregistrer (3)… Enfin, à condition de prendre une chambre chez eux, mais encore faut-il pouvoir se le permettre ! Ils sont vraiment trop blagueurs ces russes…

(3) Partout en Russie, les voyageurs doivent s’enregistrer auprès de la police, dans les trois jours suivant leur arrivée.

Heureusement, il y a Frida. Elle parle un magnifique français, teinté d’un non moins magnifique accent. Elle travaille à la réception de l’hôtel, et après lui avoir raconté notre voyage, elle se débrouille pour nous avoir une chambre très bon marché dans ce “palace”. Parce qu’elle aussi est une voyageuse, nous dit-elle, et qu’il faut savoir s’entraider. Le lendemain, nous rencontrons Natacha, une jeune biologiste. Pendant deux jours, elle nous accompagnera partout, avec une gentillesse grosse comme son pays, pour nous aider à trouver informations et autorisations. Mais sa belle Russie se meurt d’un mal épouvantable, l’administration ! Rien ne bouge. Alors, après avoir longuement pesé les pour et les contre, nous décidons d’aller chercher des chevaux dans l’Altaï Kazakh. La Russie est trop chère et trop rigide pour nous qui n’en connaissons pas les dessous. Après trois heures de queue devant plusieurs guichets aux caissières de cire, nous finissons par obtenir nos deux billets pour Oskemen (Ust-Kamenogorsk, de son nom russe). Nous sommes samedi midi et Natacha, toujours aussi bonne pour nous, décide de nous emmener pour la fin de semaine dans sa Datcha (maison de campagne), afin de prendre du repos en attendant notre train lundi. Au programme repos, jardinage et sauna. Tu ne peux imaginer Natacha combien nous avons apprécié. Merci mille fois.

Lundi matin, nous montons dans le train. Mardi matin à 5h00, les douaniers russes nous mettent à la porte du train : « frontière interdite aux étrangers », pas plus de commentaires, même pas le temps de tendre quelques dollars « médiateurs ». Les yeux encore un peu collés, nous regardons partir notre train, plantés au milieu de nul part avec notre matériel. Nous passerons finalement la frontière à une dizaine de kilomètres de là, en stop et par la route. Non ! Non ! Russie n’insiste pas pour nous garder avec toi, nous partons. À la procha ine !

Nous arrivons enfin, et c’est le cas de le dire, à Oskemen. À peine arrivés, nous nous mettons en quête de chevaux, car nous n’en pouvons plus de cet intermède urbain. Les chevaux sont ici moins chers qu’en Russie, mais n’en reste pas moins beaucoup plus chers qu’en Mongolie (ah ! Mongolie que la vie était simple chez toi !). De plus, nous apprenons que pour pouvoir voyager dans l’Altaï, il faut un permis spécial de la police et des militaires. Chouette ! Seulement c’est encore une semaine d’attente pour ce maudit morceau de papier. Enfin, nous prenons notre mal en patience et mettons notre temps à profit pour préparer le départ maintenant imminent ...

 

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