Centaures d'Asie au Kazakstan

Voici la suite du journal de nos 2 cavaliers -aventuriers qui entament la 2iéme partie de leur voyage après la Mongolie

30 Août 2004  

 

Nous sommes actuellement au suc du lac Zaisan, dans l’ouest du Kazakstan et nous progressons doucement vers le sud, vers Almaty.  Cette progression, même lente, nous comble de joie, car pour enfin avoir le plaisir de chevaucher au Kazakhstan, il nous aura fallu beaucoup de patience.  Bloqués pendant plus de deux semaines à Oskemen pour des problèmes administratifs, nous désespérions de pouvoir nous mettre en route.  Les jours passaient et nous restions englués dans cette ville.  Chacun de nous luttait à sa façon pour garder le sourire et le moral.  Corentin entreprit l’inventaire qualificatif des chachlicks* de la ville, alors que Mélanie, plus encline à se sucrer le bec, décida de dénicher les meilleures crèmes glacées d’Oskemen.  Nous avons aussi profité de tout ce temps qu’on a bien voulu nous offrir si « gentiment » pour re-réviser notre matériel et notre préparation.  Dans le grand marché de la rue Ichanova, embaumés par les fumets de poissons, des grillades et des fruits, nous avons cherché presque quotidiennement les petits trucs manquants, complétant nos inventaires au rythme qu’on nous imposait.  C’était notre sortie la plus prisée, avec bien entendu le petit verre de bière en soirée à la terrasse d’un petit café.  Petits plaisirs impossibles quand on voyage à cheval.  Enfin, un beau jour (ah oui, qu’il fut beau!), on nous rendit nos permis pour circuler le long de la frontière, et sans aller jusqu’à nous souhaiter bon voyage, on nous autorisa à nous remettre en route.  Le lendemain matin, nous chargions bagages et selles sur le toit d’une Jigoulé** bleu ciel et zou!  En route pour l’Ouest.  Par les fenêtres ouvertes, défilaient enfin les paysages Kazakhs.  Oh bien sûr, pas très vite avec ces voitures Russes, aux formes cubistes et à l’aérodynamisme plutôt douteux, mais qui possèdent des charmes indéniables malgré leur absence de performance sur ces routes sinueuses.  Pourtant, le soir même nous étions à Kalkir, dans le sud de l’Altaï, pour trouver nos futurs chevaux. 

  

(*) Chachlicks : Brochettes de viande faites au barbecue.

(**) Marque d’une voiture Russe.

 

Suite du 30 Août 2004...

 

Nous avons aussi profité de nos « vacances » oskémenoises pour organiser un peu notre prospection, et avec l’aide d’Irbaul, un ami Kazakh, nous avons pu trouver une dizaine de chevaux à vendre.  Comme en Mongolie, le bouche à oreille au Kazakhstan est redoutable d’efficacité, et il ne nous fallut pas longtemps pour que tous ceux qui avaient des chevaux à vendre viennent nous présenter leurs bêtes.   Malheureusement, dans ces régions, les gens essayent de vous vendre leurs mauvaises bêtes et bientôt la cour de la ferme d’Irbaul, aux murs de brique et de chaux, fut remplie de pauvres picouilles vieillies avant l’âge par un travail au champ fatiguant et par un entretien minimum.  Molleteux, vieillards, dos cassés, les voilà tous qui accourent.  Quelqu’un arrivé à l’improviste aurait pu se croire dans la cour d’une clinique vétérinaire.  Il nous a fallu cinq jours pour compléter notre équipe.  Il y a le gros Heubus, qui ne pense qu’à manger, Tzigane, le vieux de la bande âgé de quinze ans, Shaïtan* jeune étalon de quatre ans pour le moins sauvage, et Gadjo, grand bonze élancé, mais aux sabots douteux.  Le lendemain à l’aube, nous sellons nos chevaux.  Comment décrire l’immense plaisir que ce fut de reposer ces selles et ces bâts, d’équilibrer les charges et de voir tout ce petit monde paré pour la route!

Finis pour l’instant les problèmes de visas et de permis, seul compte maintenant notre petit monde, la route, nos chevaux.  Au fil des jours, la caravane se rode et apprend à se connaître.  Chacun semble maintenant y avoir trouvé sa place.  Nous commençons par contourner doucement le lac Zaisan par l’Ouest.  Dès les premiers jours, les paysages se font plus arides.  Parfois même désertiques.  Plaines infinies brûlées par le soleil, horizon liquide qui danse loin devant, terre craquelée et croûtes de sel.  Quand l’eau n’est pas très loin, le désert s e transforme en champ de foin, dont les hommes font provision pour l’hiver.  Sur le bord des routes et dans les champs, c’est la danse des faux qui couchent l’herbe.  Nous croisons de fabuleux chargements qui semblent défier toutes les lois de l’apesanteur et de l’équilibre.  Le foin y a avalé la machine qui avance péniblement à l’aveuglette.  Vingt-six kilomètres le premier jour, 37 pour le deuxième, 12 pour le troisième, et nous fumes de nouveau retardés par quelques problèmes administratifs. 

En sortant d’Iminidge, petit village de briques et de torchis, un policier vole une bicyclette à un enfant pour se lancer à notre poursuite à travers champ.  Nous trottons devant lui, croyant d’abord à un ivrogne en mal de compagnie.  C’est donc un policier pas très joyeux et passablement essoufflé qui nous rattrape, lorsque enfin nous nous arrêtons après avoir identifié son uniforme!  Il nous faudra plusieurs heures avant de pouvoir reprendre la route.  Mais heureusement, une fois notre méprise expliquée, le sourire retournera se percher sur le visage du policier voleur de bicyclette.  Il nous apprendra que la source de tout ce cirque n’est autre qu’une mégère à qui hier nous avions refusé de montrer nos passeports, et qui sera venue nous dénoncer comme illégal dans la région.  Tout ceci nous obligera quand même à un détour de trois jours pour aller nous réenregistrer à la ville de Zaisan.  Mais, le souvenir de ce policier nous courant après en bicyclette vaut bien le détour. 

Finalement, nous arriverons sur la rive sud de ce lac immense, tout en longueur.  Les hommes ont semé des maisons et des villages tout au long de ses berges.  Ici, on n’est pas éleveur, mais pêcheur.  Tous les matins, les hommes prennent la mer.  Une petite flottille de barques envahit les eaux calmes de Zaisan pour revenir le soir chargées de poissons.  Partout, la même histoire se répète.  Les hommes chargent le fruit de leur journée dans le side-car de leur moto et s’en vont le vendre en ville.  Nous profitons de la générosité de quelques-uns de ces pêcheurs pour améliorer notre quotidien.  Pour nos chevaux, c’est un peu plus dur, car malgré le lac, la côte est très aride et il est difficile de trouver le pâturage du soir.  Malgré cette aridité, toute une vie envahit la région : Pélicans, aigrettes, cormorans, oies, canards, bécasses, chevaliers, mais aussi renards, chevreuils, cerfs, etc.  Pendant trois jours, nous longerons le grand lac, et avant de remettre le cap au sud, nous nous gavons d’eau, de soleil, de vie, et de melon d’eau!  Cette semaine, nous attaquerons nos premières montagnes et nos premiers cols au-dessus de 3000 mètres.

 

(*) Shaïtan signifie « Diable » en kirghize

 

15 Septembre 2004

Les monts Tarbagataï et autres terres interdites

Nous continuons doucement cette route qui nous offre quotidiennement tant de choses. Nous quittons les rives du lac Zaisan pour piquer vers le sud et rejoindre la région de Tarbagataï. Nous progressons à travers de vastes steppes envahies par les herbes et les épineux. Parfois nous accompagnons un chemin sableux sur quelques kilomètres avant de replonger dans la steppe, laissant au sentier le luxe des détours. Parfois nous doublons quelques fermes isolées. Achim vit seul avec sa femme et son fils au bord du petit sentier. Sa maison, comme toutes les maisons de la région, semble sortie de la terre. Les murs, en torchis, ont la couleur du sol, et avec leurs minuscules fenêtres aux carreaux poussiéreux, ils ressemblent à des murs aveugles. À l’intérieur, Achim a passé les murs à la chaux pour tromper un peu la pénombre. Il n’y a rien de superflu : Une grande table en bois recouverte d’une vieille toile cirée toute usée, partage l’espace avec l’énorme poêle en brique de terre, lui aussi passé à la chaux. Sur la table, il n’y a que des produits de la ferme : les framboises viennent du jardin, la crème et le lait du troupeau d’Achim, qu’il regarde entrer chaque soir, debout sur le toit plat de sa maison. La centaine de vaches rentre pour la nuit, poussées par son fils, dans un énorme nuage de poussière que la lumière du soir a enflammé.

Maintenant se profilent devant nous les monts Tarbagataï, que nous devons franchir pour accéder au lac Alakol. La région est aride. Plus que jamais, l’eau et les pâturages sont un problème. Nous ne pouvons plus aller en comptant uniquement sur la steppe pour nourrir notre caravane et il faut parfois acheter du foin dans les fermes. Nous arrivons à Karassu le 1er septembre. Nous arpentons la ville au petit matin, à la recherche d’eau pour nos chevaux et afin de demander notre route. Mais les villageois sont bien plus enclins à s’enfuir devant nous et à s’enfermer chez eux qu’à nous répondre. Nous chevauchons dans les rues désertes en regardant les visages derrière les fenêtres. La sensation est très étrange. Nous plaisantons avec Mélanie sur le secret que veut cacher cette ville… Des femmes nous offrent finalement l’eau pour nos chevaux. Pour ce qui est de la route, c’est toujours le flou des réponses. Nous décidons de remonter vers Aksuat, et d’emprunter un autre itinéraire pour traverser les montagnes. Mais trop tard, un policier arrive à notre rencontre. Le visage fermé, le verbe rare, il nous demande par signes de le suivre jusqu’aux locaux de la police. Impression de déjà vu…

                        Finalement, nous perdons notre journée dans les bureaux décrépis de Karassu. Car nous avons pénétré sans le savoir une région « réglementée ». Le lendemain, pour les mêmes raisons, Corentin passera la journée à Arksuat, dans les bureaux de la police pour obtenir d’elles l’autorisation de continuer notre route à travers les monts Tarbagataï. Journées éprouvantes, où il faut sans cesse répondre aux mêmes questions, convaincre de notre bonne foi, de nos motivations, de notre route, de tout, en fait ! Quand enfin, on peut remettre notre nez dehors, on a vieilli de dix ans, mais on sait que l’on peut continuer encore un peu. Nous reprenons la route. Les chevaux, eux, en ont profité pour se reposer. Nous continuons dans les steppes arides, mais avec maintenant la promesse de montagnes généreuses, nous nous vengerons de tous ces kilomètres de déserts. Nous commençons l’ascension le 7 septembre, et dès les premières pentes, nous savons que les promesses d’abondance seront tenues. Même si ici, l’herbe est jaunie par le soleil, même si l’automne a déjà pris possession des lieux. Nous pénétrons dans le massif par quelques vallées étroites et encaissées pour monter doucement vers les cimes. Pas de route. Nous allons par de vieilles pistes qui montent à l’assaut des pentes et des cols pour aller se reposer sur les plateaux, avant de repartir de nouveau vers les hauteurs. Chaque nouvelle vallée, chaque nouveau col, offrent un spectacle unique et merveilleux. Ici les arbustes ont déjà la couleur du corail, et les graminées, celles de l’or. Dans le fond des vallées, où coule encore de l’eau, l’herbe est toujours verte et lorsque nous passons, le vent l’a couchée et peignée comme la fourrure d’un animal, sur le dos duquel nous apparaissons comme une caravane de poux.

Ramazan nous accompagne aujourd’hui. Il a déjà fait le chemin. Nous le laissons donc nous guider. La route est dure, et pourtant, sans soucis du chemin, sans souci de trouver l’eau et l’herbe, elle n’aura jamais parue aussi agréable ! Nous voudrions continuer indéfiniment cette journée, tant il semble qu’elle soit pleine de promesses : mosaïques de couleurs, parfums de mer, caresses du vent, et puis il y a ce relief et ce pays qui se découvre sans arrêt un peu plus en dessous de nous. Pourtant, vers 18 heures, ce sera l’armée qui nous sortira de notre euphorie. Nous croisons une patrouille. Nous sommes à moins de 10 kilomètres de la frontière chinoise. La zone est fermée et nous le savons. Mais après la journée à Arksuat, et la « pseudo-bénédiction » policière, nous avions décidé de traverser les montagnes au plus court, malgré les zones interdites. Pendant que Mélanie monte le camp pour la nuit, Corentin accompagnera les militaires jusqu’à leur base, avant de revenir trois heures après, avec l’autorisation de continuer demain vers le sud. Nous arrivons le lendemain après-midi au dernier col. Devant nous, les montagnes plongent brutalement dans la plaine. D’incroyables panoramas qui se découvrent à nos pieds. Les sommets chinois, que nous voyons depuis deux jours, sont là, tout près. Et les plaines de Ta Cheng aussi. Oserons-nous aller voir là-bas ? Non. Nous avons déjà joué assez avec le feu. La Chine, ce sera pour une autre fois.

La redescente vers la vallée est vertigineuse. Ce qui nous aura fallu un jour et demi pour grimper, il nous faudra une heure pour le descendre. Ce que nous aurons gravi en 30 kilomètres, nous le descendrons en moins d’un kilomètre. La pente a parfois plus de 45 degrés d’angle et les chevaux refusent d’avancer. De ce côté-ci des montagnes aussi, notre présence n’est que tolérée. Alors nous décidons de piquer vers Makanchi en évitant les villages et leurs policiers et d’aller nous-mêmes nous enregistrer aux autorités de la région. La plaine qui, vue de là-haut semblait à peu près plane, s’avère être tout en relief. Et alors que nous pensions enfin pouvoir nous reposer, il faut se battre pour trouver un chemin au milieu de ce labyrinthe de vallées encaissées, où l’on nage dans une végétation trop dense. Nous suivons les larges boulevards qu’ont tracé les ours pour pouvoir avancer. Et puisque nous n’avons pas de cloches à faire chanter, c’est nous qui chantons pour prévenir un éventuel nez à nez avec ces irascibles velus. Quand finalement, nous regagnons après deux jours la vraie plaine, celle où l’on voit loin devant soi, celle où le moindre arbre se voit à un kilomètre de distance, nous sommes épuisés et vidés, et ne rêvons plus que de nous reposer sur les rives du lac Alakol pour quelques jours.
 

 

 

30 Septembre 2004

Les marais sans fin d'Alakol et de Sasykkol

Nous continuons vers le sud, au rythme des rencontres et de la route. Le temps passe. Le givre fleurit nos matins et les yourtes kazakhes sont toujours aussi rares. Le véritable nomadisme a disparu. Restent quelques chabanis* qui l’été, continuent de monter leurs yourtes dans les steppes et les montagnes pour faire engraisser leurs vaches et leurs moutons. À la fin de l’automne, les yourtes seront démontées, et les hommes comme les bêtes rentreront vers la ville, attendre le printemps prochain. En Mongolie, les yourtes poussent partout dans la steppe. Impossible de ne pas en voir chaque jour. Mais ici, depuis deux mois, nous n’en avons croisé qu’une petite dizaine. Plus petite et plus haute que la yourte Mongole, la yourte Kazakhe semble vouloir s’étirer vers le ciel. Les yourtes que nous rencontrons ici n’ont pas la superbe de leurs voisines mongoles. Le feutre brun n’est recouvert, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur d’aucune toile blanche, donnant des airs d’enfant pauvre à ces maisons itinérantes.

(*) Chabani : « Berger » en Kazakh.


Nous avons rencontré Nirball sur les rives du lac Sasykkol. Il fait partie de ces chabanis, qui l’été, vivent encore sous la yourte. Assis sous la pénombre de sa maison de feutre, nous discutons de sa vie de berger, laissant avec plaisir la pluie froide qui tombe depuis ce matin jouer toute seule dehors. « Pourquoi resterais-je l’hiver dans ma yourte alors que je peux avoir tout le confort de la ville ? » Nous dit-il. « Mes frères préparent le foin pour l’hiver et moi je m’occupe de nos bêtes ici ». Nirball nous montre fièrement son téléviseur, son radio-téléphone, et dehors, son pick-up Lada. Il glisse une cassette de rock américain dans sa chaîne, pour bien nous montrer que yourte et présent peuvent très bien se conjuguer ensemble. Nous continuons ainsi à bavarder en avalant des litres de thé. Nirball nous explique qu’au temps de l’Union soviétique, il y avait encore beaucoup de yourtes et de bétail. Et que lorsque le Kazakhstan acquit son indépendance, beaucoup de familles vendirent tout pour avoir de l’argent, et partirent s’installer en ville. « Les temps ont été durs, mais maintenant le Kazakhstan se redresse ». Conclut-il. C’est une phrase que nous avons souvent entendue, et personne ne semble regretter l’ancien temps où le Kazakhstan était une colonie.

Nous avons quitté les monts Tarbagataï à la mi-septembre pour retrouver la steppe. Toujours la même végétation rare, brûlée par le soleil et blanchie par la poussière. Mais cette fois, les rivières sont toutes en eaux, et nous regardons arriver le soir plus sereins, sûrs de trouver un bon endroit pour la nuit. Passés Makanchi, nous filons vers les grands lacs Alakol et Sasykkol, où nous rêvions depuis si longtemps de nous reposer un peu. Gide écrivait « Ne prépares pas tes joies. En leur lieu préparé, d’autres te surprendront ». Nous n’aurions peut-être pas dû rêver de plages de sable et de gazon vert… Ou peut-être avons-nous trop souhaité d’eau en regardant les étoiles filantes ? Impossible de savoir, mais toujours est-il que nos plages rêvées se sont transformées en des centaines d’hectares de marais et de boue, et que notre gazon anglais est devenu un labyrinthe de roseaux !
Nous essayons de faire notre route dans ce dédalle végétal. Les chevaux progressent dans les forêts de roseaux, faisant s’envoler de superbes aigrettes blanches et de gros canards bruyants. Devant nous, la route s’efface, se cache et finit par se noyer. Il n’y a plus de chemin, il a fini par se faire avaler par le marais. Nous montons notre camp bien au sec sur le bord d’une petite rivière, où finalement nous resterons deux jours à nous reposer et à regarder vivre ce marais. Pélicans, oies, cormorans et aigrettes font des allers-retours au lac et semblent se moquer de nous, pauvres terriens enlisés dans notre boue. Faute de pouvoir les suivre, nous restons avec nos poules d’eau et nos couleuvres, à écouter le chant des grenouilles. Nous en profitons aussi pour partir explorer vers le sud, dans l’espoir de trouver une sortie. Mais en vain. Il ne semble pas y avoir de fin à cette eau. Finalement, il faut se résigner à un détour de quatre jours pour rejoindre la rive sud du lac.

C’est maintenant la grande ligne droite jusqu’à Almaty.  Finies les steppes et les montagnes désertes, maintenant il y a des routes, des panneaux, des villages.  Almaty n’est plus qu’à quelques centaines de kilomètres au sud.  Mais, si les kilomètres sont désormais comptés, le temps aussi, l’est.  Car il faut sortir du Kazakhstan avant le 15 octobre, visa oblige. 

Depuis trois semaines, depuis que nous sommes sortis des zones réglementées qui bordent la frontière chinoise, il nous semble que les gens ont changé.  Du moins, que nos rapports avec eux ont changé.  Les gens ne nous fuient plus, au contraire : on vient nous chercher, on nous arrête sur la route, on nous invite à prendre le thé, à manger, à venir nous reposer.  Nous retrouvons avec plaisir l’hospitalité  que nous connaissions en Mongolie.  Les gens semblent heureux de nous voir, et le sommes bien plus de pouvoir leur parler* et partager avec eux quelques minutes, quelques heures, ou parfois une soirée.  Nous sommes avides de découvrir ce visage du Kazakhstan.  D’entendre parler de l’ancienne Union soviétique, qui en éclatant laissa le Kazakhstan sans emplois et sans argent.  D’entendre les gens nous raconter les ruines, anciennes fermes collectives, ou usines, qui parsèment maintenant le pays, ou nous raconter comment aujourd’hui ils vivent, comment leur pays redresse la dette grâce au pétrole, et comment tout s’améliore.  Nous connaissions les montagnes, les lacs, les oiseaux, les odeurs, le vent de ce pays, nous découvrons maintenant ses hommes.  Et comme depuis notre départ d’Ulaanbaatar en avril, nous sommes conquis par ces cultures que nous découvrons.

 

Corentin et Mélanie

 

(*) Merci aux policiers Kazakhes, qui ne furent pas avares en longs interrogatoires, et qui contribuèrent ainsi grandement à améliorer notre russe !

 

18 octobre 2004

 

La longue route goudronnée s’étire vers le Sud, se coulant entre les reliefs et évitant les collines et les canyons qui bordent les monts Alatau.  Elle est toujours escortée par quelques rangées d’arbres et d’arbustes se donnant ainsi des petits d’Europe.  La steppe, elle, a été repoussée bien loin du goudron.  D’immenses champs de tournesol et de foin s’étendent à perte de vue tout autour de nous.  L’automne que l’on suit dans sa progression vers le Sud tient les hommes dans les champs, du petit matin jusqu’a la noirceur.  Nous croisons sans arrêt des ca mions de foin qui rentrent pour l’hiver.  Il ne semble pas y avoir de limites à ces chargements.  Les hommes au sol jettent toujours plus haut leurs fourches lourdes de foin, qu’un des leurs juche sur cette montagne d’herbe répartie au mieux.  Quand absolument plus rien ne peut être ajouté, une grosse poutre de bois est rabattue et vient écraser cet échafaudage doré que l’on ramène ensuite vers les maisons.  De vieux moteurs toussent dans toutes les vallées, et nous commençons à regretter le silence et la solitude des mois passés.  Là où il n’y a pas de foin, ce sont d’immenses champs de tournesol, océans marron de soleils fanés, qui recouvrent les pentes.  La progression dans ces mers brunes est pénible et nous les évitons autant que possible.  De plus, les chevaux couchent sur leur passage les tournesols, qui lorsqu’ils ne se cassent pas relèvent brusquement leurs maigres corps tout secs, projetant dans les airs leurs lourdes têtes et nous obligeant ainsi à une certaine vigilance afin de prévenir d’éventuels tête à tête.

La route est aussi un bon engrais à villages.  Il en a poussé tout le long.  Ils se ressemblent tous plus ou moins, avec leurs rues perpendiculaires, leurs maisons blanchies, noyées dans les arbres, et les cours remplies de foin.  Ils s’étirent le long de la route en offrant aux gens de passage cafés et étalages ou se réapprovisionner.  Parfois même, le soir venu, on tire fils et lampes jusqu’aux tables pour pouvoir commercer toute la nuit.  Nous n’avons donc plus vraiment à nous soucier de calculer notre approvisionnement comme par le passé.  Un petit crochet vers un de ces villages et nous revoilà à flot.  Ces détours sont aussi parfois l’occasion, au combien bénite, de pouvoir utiliser un bania!  Cela change agréablement des ruisseaux ou nous avons l’habitude de nous laver, et qui à cette période de l’année commencent à être plutôt frisquets.  Quand les corps sont courbaturés par de trop longues journées et quand la peau transpire la poussière de la route, s’asseoir sur le caillebotis de bois, dans la fournaise humide de ces bains russes, n’a pas son pareil.  La vapeur brûlante du bania lave corps et esprit et chasse bien loin la fatigue de la route.  Mais cette fameuse route qui prend maintenant tellement de place dans nos journées amène avec elle dans sa sinueuse progression de nouveaux problè mes.  Il faut nous adapter à ce nouvel environnement.  Et il n’est pas seulement question ici des ces lâches agressions de tournesols, car toutes ces cultures ont aussi repoussé les pâturages bien loin et le soir venu, il nous faut beaucoup chercher pour trouver l’eau et le vert gazon qui feront le bonheur des chevaux.  La route, en entraînant hommes et villages dans son sillage, a aussi amené de nouveaux problèmes d’insecurité.  Depuis quelques semaines, on ne cesse de nous mettre en garde contre les vols et les agressions (très rassurant).  Dans les villages où parfois nous nous arrêtons pour la nuit, nos hôtes, s’ils ne peuvent enfermer nos chevaux dans une étable, nous conseillent souvent de dormir à tour de rôle.  É puises par notre petite course vers le Sud et par les journées de trot, nous nous passerions bien de ce surplus de fatigue nocturne.  Les jours passent, les saisons filent et même si nous ne perdons plus de temps avec la police, la frontière kirghize ne se rapproche que doucement.  Trop doucement pour maintenant espérer la franchir à cheval, avant la fin de notre visa.  Nous continuons vers le Sud, sans vouloir trop parler du moment où il faudra se séparer de nos chevaux, comme si de ne pas en parler ferait disparaître le problème.  Car il y a un vrai problème, bien plus épineux à nos yeux que de nous séparer d’Ebus, Chaitane, Gadjo et Tsigane, il s’agit de leur avenir... Au Kazakhstan la viande de cheval est un mets de choix, c’est d’ailleurs ce qui fait la valeur de nos copains herbivores. Pour nous, il est évidemment hors de question de les remercier ainsi pour ces mois pendant lesquels ils auront peiné pour nous.  Les gens à qui nous en parlons sur notre route nous exhortent à aller les vendre au grand bazar d’Almaty.  Il est dur, voir impossible, de leur faire comprendre le lien sentimental qui nous unit maintenant à nos chevaux.  Impossible aussi d’expliquer que nous sommes prêts à les vendre pour une bouchée de pain, pour leur éviter de finir en kasey (saucisse de cheval).  Deux cultures qui se rencontrent ...

Le 9 octobre, Almaty est encore à plus de 150 km.  Le soleil est toujours caché derrière ses montagnes et la terre est encore figée par le froid de la nuit, quand deux éleveurs arrivent à notre tente, plantée dans le jardin d’une maison.  Ils cherchent trois chevaux pour travailler.  Nous devons réfléchir vite. Mais avec Mélanie, nous savons déjà qu’il y a très peu de chances qu’on retrouve pareille aubaine à Almaty.  Il faut les laisser ici et retrouver d’autres chevaux au Kirghizistan.  Mais à peine cette idée naît-elle qu’une grande solitude et un grand désespo ir nous envahit.  Non, les vendre semble si dur, bien trop dur pour nous.  Ceux qui, il y a quelques mois n’étaient que quatre chevaux parmi tant d’autres, sont aujourd’hui nos compagnons de voyage.  Au fil des jours s’est créée une certaine complicité.  Impossible avec nos mots d’expliquer combien ils remplissent aujourd’hui nos vies, accaparent chacune de nos pensées, influencent nos décisions, notre itinéraire, nos bivouacs et nos nuits.  Nous pourrions noircir des pages entières sur ces gestes, ces petits rien qui ont doucement tissé des liens entre eux et nous.  En couchant ces mots, une foule d’images viennent se bousculer dans nos têtes : des images de galop, de steppes, de montagnes, de fous rire, avec toujours quelque part dans le cadre un de nos quatre copains à crinière.  Finalement, c’est pour tout cela qu’il faut justement les laisser ici et ne pas aller tenter le diable plus loin.  Pour leur permettre de galoper encore, dans ce pays grandiose que nous avons tant aimé.
 
Corentin et Mélanie

 

19 novembre 2004

La neige recouvre les pentes des montagnes, l'herbe jaunie et brûlée par l'été, disparait sous le manteau blanc de l'hiver qui tient maintenant les troupeaux aux pieds des reliefs. Le Kirghistan est entré dans l'hiver et nous nous sommes éloignés pour le laisser dormir. Le coeur gros nous avons pris l'avion pour l'Europe, pour la France. Nous voila donc rentre après 7 merveilleux mois dans les steppes et les montagnes d'Asie centrale. Paysages magnifiques et rencontres bouleversantes d'humanité qui resteront très longtemps à nous réchauffer le coeur. Nous sommes maintenant en Sologne, au coin d'un bon feu de cheminée à nous reposer et à mettre de l'ordre dans notre matériel avant de nous envoler dans quelques semaines vers notre bien aimée Québec, afin de monter les quelques dizaines d'heures de film que nous avons tournées. Merci à tous pour votre soutien et pour vos encouragements tout au long de notre aventure. Il nous tarde d'avoir de vos nouvelles à tous, donc n'hésitez pas à nous écrire.

 

Voilà donc la première partie de l'aventure des Centaures d'Asie. Il leur reste maintenant beaucoup de travail pour monter tous les documents ramenés. Nous les reverrons donc sûrement prochainement grâce à un livre et surtout un film. Ils donneront aussi quelques "conférences" dans l'année qui vient.

Je me permets de les remercier plus particulièrement car ils ont "joué le jeu" du début à la fin en nous donnant de leurs nouvelles régulièrement et j'ai trouvé en eux des interlocuteurs d'une gentillesse extrême !

Leurs remarques sur le matériel utilisé nous seront très précieuses. Nous avons exposé sur notre stand à Paris, la selle ISLANDER équipée, ainsi que l'un de leurs 2 bâts, qui revenaient tout juste "en l'état' sans avoir reçu le moindre nettoyage et graissage: vous avez tous été étonnés de la qualité de ce matériel qui ne semblait pas du tout éprouvé par 8 mois de voyage en Asie centrale ! Vous pouvez, bien sûr, contacter Mélanie et Corentin à propos de leur équipement, soyez sûr qu'ils vous répondront avec franchise !

http://www.asienomade.com/

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