Centaures d'Asie au Kazakstan |
Voici la suite du journal de nos 2 cavaliers -aventuriers qui entament la 2iéme partie de leur voyage après la Mongolie |
|
|
30 Août 2004
Nous sommes actuellement au suc du lac Zaisan, dans l’ouest du Kazakstan et nous progressons doucement vers le sud, vers Almaty. Cette progression, même lente, nous comble de joie, car pour enfin avoir le plaisir de chevaucher au Kazakhstan, il nous aura fallu beaucoup de patience. Bloqués pendant plus de deux semaines à Oskemen pour des problèmes administratifs, nous désespérions de pouvoir nous mettre en route. Les jours passaient et nous restions englués dans cette ville. Chacun de nous luttait à sa façon pour garder le sourire et le moral. Corentin entreprit l’inventaire qualificatif des chachlicks* de la ville, alors que Mélanie, plus encline à se sucrer le bec, décida de dénicher les meilleures crèmes glacées d’Oskemen. Nous avons aussi profité de tout ce temps qu’on a bien voulu nous offrir si « gentiment » pour re-réviser notre matériel et notre préparation. Dans le grand marché de la rue Ichanova, embaumés par les fumets de poissons, des grillades et des fruits, nous avons cherché presque quotidiennement les petits trucs manquants, complétant nos inventaires au rythme qu’on nous imposait. C’était notre sortie la plus prisée, avec bien entendu le petit verre de bière en soirée à la terrasse d’un petit café. Petits plaisirs impossibles quand on voyage à cheval. Enfin, un beau jour (ah oui, qu’il fut beau!), on nous rendit nos permis pour circuler le long de la frontière, et sans aller jusqu’à nous souhaiter bon voyage, on nous autorisa à nous remettre en route. Le lendemain matin, nous chargions bagages et selles sur le toit d’une Jigoulé** bleu ciel et zou! En route pour l’Ouest. Par les fenêtres ouvertes, défilaient enfin les paysages Kazakhs. Oh bien sûr, pas très vite avec ces voitures Russes, aux formes cubistes et à l’aérodynamisme plutôt douteux, mais qui possèdent des charmes indéniables malgré leur absence de performance sur ces routes sinueuses. Pourtant, le soir même nous étions à Kalkir, dans le sud de l’Altaï, pour trouver nos futurs chevaux.
(*) Chachlicks : Brochettes de viande faites au barbecue. (**) Marque d’une voiture Russe.
|
Suite du 30 Août 2004...
Nous avons aussi profité de nos « vacances » oskémenoises pour organiser un peu notre prospection, et avec l’aide d’Irbaul, un ami Kazakh, nous avons pu trouver une dizaine de chevaux à vendre. Comme en Mongolie, le bouche à oreille au Kazakhstan est redoutable d’efficacité, et il ne nous fallut pas longtemps pour que tous ceux qui avaient des chevaux à vendre viennent nous présenter leurs bêtes. Malheureusement, dans ces régions, les gens essayent de vous vendre leurs mauvaises bêtes et bientôt la cour de la ferme d’Irbaul, aux murs de brique et de chaux, fut remplie de pauvres picouilles vieillies avant l’âge par un travail au champ fatiguant et par un entretien minimum. Molleteux, vieillards, dos cassés, les voilà tous qui accourent. Quelqu’un arrivé à l’improviste aurait pu se croire dans la cour d’une clinique vétérinaire. Il nous a fallu cinq jours pour compléter notre équipe. Il y a le gros Heubus, qui ne pense qu’à manger, Tzigane, le vieux de la bande âgé de quinze ans, Shaïtan* jeune étalon de quatre ans pour le moins sauvage, et Gadjo, grand bonze élancé, mais aux sabots douteux. Le lendemain à l’aube, nous sellons nos chevaux. Comment décrire l’immense plaisir que ce fut de reposer ces selles et ces bâts, d’équilibrer les charges et de voir tout ce petit monde paré pour la route! Finis pour l’instant les problèmes de visas et de permis, seul compte maintenant notre petit monde, la route, nos chevaux. Au fil des jours, la caravane se rode et apprend à se connaître. Chacun semble maintenant y avoir trouvé sa place. Nous commençons par contourner doucement le lac Zaisan par l’Ouest. Dès les premiers jours, les paysages se font plus arides. Parfois même désertiques. Plaines infinies brûlées par le soleil, horizon liquide qui danse loin devant, terre craquelée et croûtes de sel. Quand l’eau n’est pas très loin, le désert s e transforme en champ de foin, dont les hommes font provision pour l’hiver. Sur le bord des routes et dans les champs, c’est la danse des faux qui couchent l’herbe. Nous croisons de fabuleux chargements qui semblent défier toutes les lois de l’apesanteur et de l’équilibre. Le foin y a avalé la machine qui avance péniblement à l’aveuglette. Vingt-six kilomètres le premier jour, 37 pour le deuxième, 12 pour le troisième, et nous fumes de nouveau retardés par quelques problèmes administratifs. En sortant d’Iminidge, petit village de briques et de torchis, un policier vole une bicyclette à un enfant pour se lancer à notre poursuite à travers champ. Nous trottons devant lui, croyant d’abord à un ivrogne en mal de compagnie. C’est donc un policier pas très joyeux et passablement essoufflé qui nous rattrape, lorsque enfin nous nous arrêtons après avoir identifié son uniforme! Il nous faudra plusieurs heures avant de pouvoir reprendre la route. Mais heureusement, une fois notre méprise expliquée, le sourire retournera se percher sur le visage du policier voleur de bicyclette. Il nous apprendra que la source de tout ce cirque n’est autre qu’une mégère à qui hier nous avions refusé de montrer nos passeports, et qui sera venue nous dénoncer comme illégal dans la région. Tout ceci nous obligera quand même à un détour de trois jours pour aller nous réenregistrer à la ville de Zaisan. Mais, le souvenir de ce policier nous courant après en bicyclette vaut bien le détour. Finalement, nous arriverons sur la rive sud de ce lac immense, tout en longueur. Les hommes ont semé des maisons et des villages tout au long de ses berges. Ici, on n’est pas éleveur, mais pêcheur. Tous les matins, les hommes prennent la mer. Une petite flottille de barques envahit les eaux calmes de Zaisan pour revenir le soir chargées de poissons. Partout, la même histoire se répète. Les hommes chargent le fruit de leur journée dans le side-car de leur moto et s’en vont le vendre en ville. Nous profitons de la générosité de quelques-uns de ces pêcheurs pour améliorer notre quotidien. Pour nos chevaux, c’est un peu plus dur, car malgré le lac, la côte est très aride et il est difficile de trouver le pâturage du soir. Malgré cette aridité, toute une vie envahit la région : Pélicans, aigrettes, cormorans, oies, canards, bécasses, chevaliers, mais aussi renards, chevreuils, cerfs, etc. Pendant trois jours, nous longerons le grand lac, et avant de remettre le cap au sud, nous nous gavons d’eau, de soleil, de vie, et de melon d’eau! Cette semaine, nous attaquerons nos premières montagnes et nos premiers cols au-dessus de 3000 mètres.
(*) Shaïtan signifie « Diable » en kirghize
|
|
|
18 octobre 2004
La longue route goudronnée s’étire vers le Sud, se coulant entre les reliefs et évitant les collines et les canyons qui bordent les monts Alatau. Elle est toujours escortée par quelques rangées d’arbres et d’arbustes se donnant ainsi des petits d’Europe. La steppe, elle, a été repoussée bien loin du goudron. D’immenses champs de tournesol et de foin s’étendent à perte de vue tout autour de nous. L’automne que l’on suit dans sa progression vers le Sud tient les hommes dans les champs, du petit matin jusqu’a la noirceur. Nous croisons sans arrêt des ca mions de foin qui rentrent pour l’hiver. Il ne semble pas y avoir de limites à ces chargements. Les hommes au sol jettent toujours plus haut leurs fourches lourdes de foin, qu’un des leurs juche sur cette montagne d’herbe répartie au mieux. Quand absolument plus rien ne peut être ajouté, une grosse poutre de bois est rabattue et vient écraser cet échafaudage doré que l’on ramène ensuite vers les maisons. De vieux moteurs toussent dans toutes les vallées, et nous commençons à regretter le silence et la solitude des mois passés. Là où il n’y a pas de foin, ce sont d’immenses champs de tournesol, océans marron de soleils fanés, qui recouvrent les pentes. La progression dans ces mers brunes est pénible et nous les évitons autant que possible. De plus, les chevaux couchent sur leur passage les tournesols, qui lorsqu’ils ne se cassent pas relèvent brusquement leurs maigres corps tout secs, projetant dans les airs leurs lourdes têtes et nous obligeant ainsi à une certaine vigilance afin de prévenir d’éventuels tête à tête. La route est aussi un bon engrais à villages. Il en a poussé tout le long. Ils se ressemblent tous plus ou moins, avec leurs rues perpendiculaires, leurs maisons blanchies, noyées dans les arbres, et les cours remplies de foin. Ils s’étirent le long de la route en offrant aux gens de passage cafés et étalages ou se réapprovisionner. Parfois même, le soir venu, on tire fils et lampes jusqu’aux tables pour pouvoir commercer toute la nuit. Nous n’avons donc plus vraiment à nous soucier de calculer notre approvisionnement comme par le passé. Un petit crochet vers un de ces villages et nous revoilà à flot. Ces détours sont aussi parfois l’occasion, au combien bénite, de pouvoir utiliser un bania! Cela change agréablement des ruisseaux ou nous avons l’habitude de nous laver, et qui à cette période de l’année commencent à être plutôt frisquets. Quand les corps sont courbaturés par de trop longues journées et quand la peau transpire la poussière de la route, s’asseoir sur le caillebotis de bois, dans la fournaise humide de ces bains russes, n’a pas son pareil. La vapeur brûlante du bania lave corps et esprit et chasse bien loin la fatigue de la route. Mais cette fameuse route qui prend maintenant tellement de place dans nos journées amène avec elle dans sa sinueuse progression de nouveaux problè mes. Il faut nous adapter à ce nouvel environnement. Et il n’est pas seulement question ici des ces lâches agressions de tournesols, car toutes ces cultures ont aussi repoussé les pâturages bien loin et le soir venu, il nous faut beaucoup chercher pour trouver l’eau et le vert gazon qui feront le bonheur des chevaux. La route, en entraînant hommes et villages dans son sillage, a aussi amené de nouveaux problèmes d’insecurité. Depuis quelques semaines, on ne cesse de nous mettre en garde contre les vols et les agressions (très rassurant). Dans les villages où parfois nous nous arrêtons pour la nuit, nos hôtes, s’ils ne peuvent enfermer nos chevaux dans une étable, nous conseillent souvent de dormir à tour de rôle. É puises par notre petite course vers le Sud et par les journées de trot, nous nous passerions bien de ce surplus de fatigue nocturne. Les jours passent, les saisons filent et même si nous ne perdons plus de temps avec la police, la frontière kirghize ne se rapproche que doucement. Trop doucement pour maintenant espérer la franchir à cheval, avant la fin de notre visa. Nous continuons vers le Sud, sans vouloir trop parler du moment où il faudra se séparer de nos chevaux, comme si de ne pas en parler ferait disparaître le problème. Car il y a un vrai problème, bien plus épineux à nos yeux que de nous séparer d’Ebus, Chaitane, Gadjo et Tsigane, il s’agit de leur avenir... Au Kazakhstan la viande de cheval est un mets de choix, c’est d’ailleurs ce qui fait la valeur de nos copains herbivores. Pour nous, il est évidemment hors de question de les remercier ainsi pour ces mois pendant lesquels ils auront peiné pour nous. Les gens à qui nous en parlons sur notre route nous exhortent à aller les vendre au grand bazar d’Almaty. Il est dur, voir impossible, de leur faire comprendre le lien sentimental qui nous unit maintenant à nos chevaux. Impossible aussi d’expliquer que nous sommes prêts à les vendre pour une bouchée de pain, pour leur éviter de finir en kasey (saucisse de cheval). Deux cultures qui se rencontrent ...
Le 9 octobre, Almaty est encore à plus de 150 km. Le soleil est
toujours caché derrière ses montagnes et la terre est encore
figée par le froid de la nuit, quand deux éleveurs arrivent à
notre tente, plantée dans le jardin d’une maison. Ils cherchent
trois chevaux pour travailler. Nous devons réfléchir vite. Mais
avec Mélanie, nous savons déjà qu’il y a très peu de chances
qu’on retrouve pareille aubaine à Almaty. Il faut les laisser
ici et retrouver d’autres chevaux au Kirghizistan. Mais à peine
cette idée naît-elle qu’une grande solitude et un grand désespo
ir nous envahit. Non, les vendre semble si dur, bien trop dur
pour nous. Ceux qui, il y a quelques mois n’étaient que quatre
chevaux parmi tant d’autres, sont aujourd’hui nos compagnons de
voyage. Au fil des jours s’est créée une certaine complicité.
Impossible avec nos mots d’expliquer combien ils remplissent
aujourd’hui nos vies, accaparent chacune de nos pensées,
influencent nos décisions, notre itinéraire, nos bivouacs et nos
nuits. Nous pourrions noircir des pages entières sur ces
gestes, ces petits rien qui ont doucement tissé des liens entre
eux et nous. En couchant ces mots, une foule d’images viennent
se bousculer dans nos têtes : des images de galop, de steppes,
de montagnes, de fous rire, avec toujours quelque part dans le
cadre un de nos quatre copains à crinière. Finalement, c’est
pour tout cela qu’il faut justement les laisser ici et ne pas
aller tenter le diable plus loin. Pour leur permettre de
galoper encore, dans ce pays grandiose que nous avons tant aimé.
Corentin et Mélanie
|
19 novembre 2004
La neige recouvre les pentes des montagnes, l'herbe jaunie et brûlée par l'été, disparait sous le manteau blanc de l'hiver qui tient maintenant les troupeaux aux pieds des reliefs. Le Kirghistan est entré dans l'hiver et nous nous sommes éloignés pour le laisser dormir. Le coeur gros nous avons pris l'avion pour l'Europe, pour la France. Nous voila donc rentre après 7 merveilleux mois dans les steppes et les montagnes d'Asie centrale. Paysages magnifiques et rencontres bouleversantes d'humanité qui resteront très longtemps à nous réchauffer le coeur. Nous sommes maintenant en Sologne, au coin d'un bon feu de cheminée à nous reposer et à mettre de l'ordre dans notre matériel avant de nous envoler dans quelques semaines vers notre bien aimée Québec, afin de monter les quelques dizaines d'heures de film que nous avons tournées. Merci à tous pour votre soutien et pour vos encouragements tout au long de notre aventure. Il nous tarde d'avoir de vos nouvelles à tous, donc n'hésitez pas à nous écrire.
|
|
Voilà donc la première partie de l'aventure des Centaures d'Asie. Il
leur reste maintenant beaucoup de travail pour monter tous les documents
ramenés. Nous les reverrons donc sûrement prochainement grâce à un livre
et surtout un film. Ils donneront aussi quelques "conférences" dans
l'année qui vient. Je me permets de les remercier plus particulièrement car ils ont "joué le jeu" du début à la fin en nous donnant de leurs nouvelles régulièrement et j'ai trouvé en eux des interlocuteurs d'une gentillesse extrême ! Leurs remarques sur le matériel utilisé nous seront très précieuses. Nous avons exposé sur notre stand à Paris, la selle ISLANDER équipée, ainsi que l'un de leurs 2 bâts, qui revenaient tout juste "en l'état' sans avoir reçu le moindre nettoyage et graissage: vous avez tous été étonnés de la qualité de ce matériel qui ne semblait pas du tout éprouvé par 8 mois de voyage en Asie centrale ! Vous pouvez, bien sûr, contacter Mélanie et Corentin à propos de leur équipement, soyez sûr qu'ils vous répondront avec franchise ! |
Retour Expédition Centaures d'Asie | Carnets de voyage Centaures d'Asie 1ère partie | Photos du voyage |
|